Fiction 1. Un film de Hugo Arcier. 2011.
Musique originale de Jean-Christophe Feldhandler. Ingénieur du son : Francois Vatin.
Ce film de synthèse a pour point de départ les événements qui ont frappé le Japon en mars 2011, et plus exactement la façon dont ils ont été traités par les médias.
Les images de synthèse ne sont pas une simple captation du réel, mais des images calculées, simulées par des ordinateurs. Elles permettent, par un troublant effet de miroir, de rendre compte de la « non-réalité » des images rémanentes de certains événements catastrophes. Finalement, pour le spectateur étranger au tsunami de mars 2011 ne restent vraiment des images de reportages que les scènes d’« action » et de désolation… la vague qui s’abat et les ravages qu’elle a provoqués.
La dynamique analytique sur laquelle repose la construction des images de synthèse, la nécessité pour le créateur de sortir de l’immédiateté et de prendre du recul, permettent de proposer au spectateur un rendu synthétique où l’émotion primitive ne sidère plus la pensée face à la catastrophe.
Le spectateur s’extrait alors du flux incessant – médiatique mais aussi littéral dans le film – qui l’emporte, retrouvant ainsi un espace de réflexion privilégié qui nourrit son humanité et sa raison.
Les images de synthèse décortiquent le réel, comme pourrait le faire le scalpel d’un anatomiste, découvrant la face cachée du corps. Elles débarrassent l’événement-catastrophe des strates en surenchère des images et commentaires médiatiques.
Cette vidéo reconstruit une image du tsunami pour rendre à cet événement, face à la profusion d’images extraites du réel, toute sa vérité.
Une image épurée, sans paroles, sans mots, une évocation méditative du tsunami : une quintessence du réel.
Les images de synthèse, malgré leur caractère fictif, ne sont-elles pas une issue pour réactiver une pensée anesthésiée, redonner du sens et, par leur pouvoir d’abstraction, rendre visible l’invisible ?
Fiction 1. 2012. Sculpture. Polyamide, peint au spray noir.Sur l’irréalité de certains événements.
Journal télévisé du 12 mars 2011. Des anonymes sont interrogés pour raconter ce qu’ils ont vu de la catastrophe survenue au Japon. Plutôt que la description factuelle de ce que ces gens ont vécu, les mots qui reviennent sont : « C’était comme dans un film ». Comme si la seule façon d’énoncer correctement ce qu’ils ont vu, la seule façon d’en exprimer l’ampleur, devait passer par la fiction. Dans la bouche des journalistes, on retrouve aussi des allusions à la fiction. L’expression de « scénario catastrophe » est récurrente et suggère que tout est déjà écrit comme au cinéma, que la suite des événements est détenue dans un script.
Quelle est donc cette étrange collusion qui existe entre réalité et fiction ?
Quelques mois avant le cataclysme, le film de Clint Eastwood Au-delà mettait en scène un raz-de-marée. Il a dû être retiré des salles japonaises.
Les Nippons sont les premiers à utiliser les catastrophes dans leurs fictions. C’est l’effet cathartique de la simulation qui est recherché, le plaisir d’avoir peur et de survivre au bouleversement (fictionnel). Une façon de s’entraîner à surmonter sa terreur.
Chaque nouvelle fiction, dans une logique vaccinale d’accoutumance (mithridatisation), est une sorte de piqûre de rappel qui diminue l’impact de l’événement lorsqu’il survient. Cela ne supprime bien sûr pas totalement l’émotion que l’on ressent devant ces images, le mélange de peur et d’effroi, mais cela crée une translation dans la nature de ces émois. Au lieu d’être troublé par les conséquences induites par ces images — et la logique voudrait que ce soit cela —, on est plutôt envahi par une émotion liée au déchaînement des forces naturelles, au caractère spectaculaire des images. Les fictions, les films catastrophes, les jeux vidéo, usent de personnages vecteurs d’empathie, et c’est le fait de les connaître qui créera, par un phénomène d’identification, l’émotion quand la catastrophe arrivera. Les images de journal télévisé créent elles aussi des personnages en se focalisant sur des témoins et des rescapés de la scène, mais auxquels il manque un contexte (l’avant catastrophe) pour que l’identification fonctionne parfaitement. Finalement, pour le spectateur étranger à l’événement ne restent vraiment des images de reportage que les scènes d’« action » et de désolation… la vague qui s’abat et les ravages qu’elle provoque.
Sombre ironie, la veille de la catastrophe devait sortir sur Playstation 3 Disaster Report 4, un jeu qui se déroule dans un Japon dévasté par un séisme.
En 2009, l’« anime » Tokyo magnetude 8 décrit l’histoire de deux enfants dans une ville détruite par un tremblement de terre. Parmi les autres jeux dont la date de sortie au Japon a été retardée, on peut citer Yakuza: Of the End et Motorstorm: Apocalypse, tous les deux se déroulant dans un monde postapocalyptique.
Fiction et réalité se mêlent dans un grand tourbillon (Twister).
Fiction. Réalité. Fiction. Réalité. Fiction. Réalité. Fiction. Réalité. Fiction. Réalité. Fiction. Réalité.
Ce n’est plus la fiction qui s’inspire de la réalité, mais la réalité qui semble imiter la fiction.
Cette surabondance d’œuvres imaginaires tend à déréaliser l’événement quand il survient. La position de spectateur, le fait de ne pas vivre les épreuves subjectivement, mais par le biais d’un médium (celui-là même qui sert aussi à voir des fictions), un écran, accentue encore la difficile différenciation de ces images. Le mélange devient total lorsque, certains s’en souviennent peut être, un journal de la télévision bolivienne a illustré par erreur (pensant détenir une exclusivité) le crash du vol Rio-Paris par un extrait de la série Lost. Cela marque sans aucun doute un point de non-retour, le moment où images fictionnelles et images réelles peuvent être utilisées de façon indifférenciée et interchangeable.
La sensation de non-réalité des images filmées utilisées pour les informations vient aussi de leur rapidité à disparaître, à ne plus intéresser (c’est ce que l’on appelle en presse la loi de proximité temporelle). Les faits sont contraints et forcés à se plier aux lois du spectacle (la Société du spectacle) et de l’audience. Une nouvelle info chasse toujours la précédente, comme si cette dernière n’avait jamais existé, comme s’il s’agissait d’un mauvais rêve, ou plutôt d’un film terminé. Il n’y a pas de suite, même si l’événement continue à se dérouler. Coupez ! Tout le monde remballe ! Pot de fin de tournage à 21 heures. The end.
Expositions / diffusions :
Nuit Blanche 2018, La Folie Numérique (Paris, France)
Du 29 septembre au 2 octobre 2016, « Arte es digital, digital is arte », musée Vostell, Cáceres (Espagne)
Polytechnic Museum (Moscou) 2015
B.I.M. (Biennale de l’Image en Mouvement) (Buenos Aires, Argentine) 2014
« Nostalgie du réel », Le Cube (Grand Paris, France) 2013
« Norevover », Plateforme (Paris, France) 2012
New Museum (New York, USA) 2012
Videoformes (Clermont-Ferrand, France) 2012
Ils en parlent :
RSLN-Regards Sur Le Numérique
Minimal Exposition
Triangulation blog
The Creators Project
Histapercaso blog